S. f. (Histoire ecclésiastique) rémission donnée par les papes de la peine dû. aux péchés, sous certaines conditions prescrites.

M. l'abbé Fleuri, qui sera mon premier guide sur cette matière, commence par remarquer que tous les catholiques conviennent que l'Eglise peut accorder des indulgences, et qu'elle le doit en certains cas ; mais il ajoute que c'est à ses ministres à dispenser sagement ses grâces, et à n'en pas faire une profusion inutîle ou même pernicieuse.

La multitude des indulgences, et la facilité de les gagner devint un grand obstacle au zèle des confesseurs éclairés. Il leur était difficîle de persuader des pénitences à un pécheur qui pouvait racheter ses péchés par une aumône légère, ou par la seule visite d'une église ; car les évêques du onzième et du douzième siècle accordaient libéralement des indulgences à toutes sortes d'œuvres pies, comme pour le bâtiment d'une église, d'une chapelle, l'entretien d'un hôpital, un pélerinage à Rome, et même tout ouvrage utîle au public, un pont, une chaussée, le pavé d'un grand chemin. Plusieurs indulgences jointes ensemble rachetaient la pénitence toute entière.

Quoique le quatrième concîle de Latran qui se tint dans le XIIIe siècle, appelle ces sortes d'indulgences indiscrettes, superflues, rendant méprisables les clés de l'église, et énervant la pénitence ; cependant Guillaume évêque de Paris, célèbre dans le même siècle, soutenait qu'il revient plus d'honneur à Dieu, et d'utilité aux âmes de la construction d'une église, que de tous les tourments des œuvres pénales. Il prétendait encore qu'on accordait avec beaucoup de raison des indulgences pour la fondation des hôpitaux, la réparation des ponts et des chemins, parce que ces ouvrages servent aux pélerins et autres personnes qui voyagent pour des causes pieuses.

Si ces raisons étaient solides, continue M. Fleury, elles auraient dû toucher tous les saints évêques des premiers siècles qui avaient établi les pénitences canoniques ; mais ils portaient leurs vues plus loin. Ils comprenaient que Dieu est infiniment plus honoré par la pureté des mœurs, que par la construction et l'ornement des églises matérielles, par le chant, les cérémonies, et tout le culte extérieur, qui n'est que l'écorce de la religion, dont l'âme est la vertu. Or, comme la plupart des chrétiens ne sont pas assez heureux pour suivre toujours leurs devoirs, ces sages pasteurs ne trouvèrent point de meilleurs remèdes pour ramener les pécheurs, que de les engager, non pas à des aumônes, à des visites d'églises, et à des cérémonies extérieures, où le cœur n'a point de part, mais à se punir volontairement eux-mêmes en leurs propres personnes, par le retranchement de tous les plaisirs. Aussi les Chrétiens n'ont jamais été plus corrompus, que quand les pénitences canoniques perdirent de leur vigueur, et que les indulgences prirent leur place.

En vain l'Eglise laissait à la discrétion épiscopale de remettre une partie de la pénitence canonique, suivant les circonstances et la ferveur du pénitent ; les indulgences plus commodes sappèrent toute pénitence. Mais on vit avec surprise sous le pontificat d'Urbain II. qu'en faveur d'une seule bonne œuvre, le pécheur fut déchargé de toutes les peines temporelles dont il pouvait être redevable à la justice divine. Il ne fallait pas moins qu'un concîle nombreux, présidé par ce pape en personne, pour autoriser cette nouveauté. Ce concîle donc accorda une indulgence, une rémission plénière de tous les péchés à ceux qui prendraient les armes pour le recouvrement de la Terre-sainte.

On avait bien déjà employé l'invention de racheter en peu de jours par quelques œuvres pies des années de pénitence ; par exemple dans la commutation de pénitence, les pélerinages de Rome, de Compostelle et autres lieux, y entraient pour beaucoup. Mais comme la croisade en Orient était un voyage pénible à entreprendre, qu'il était accompagné de tous les périls de la guerre, dans un pays éloigné, et contre des infidèles, on crut qu'on ne pouvait rien faire de trop en sa faveur. D'ailleurs l'indulgence tenait lieu de solde aux croisés ; et quoi qu'elle ne donnât pas la nourriture corporelle, elle fut acceptée de tout le monde en payement. On se flatta de subsister aux frais du public, des riches, des Grecs et des Musulmants.

Les nobles qui se sentaient la plupart chargés de crimes, entr'autres de pillages sur les églises et sur les pauvres, s'estimèrent heureux d'avoir rémission plénière de tous leurs péchés, et pour toute pénitence leur exercice ordinaire, qui était de faire la guerre, outre l'espérance, s'ils étaient tués, d'obtenir la couronne du martyre.

La noblesse entraina le petit peuple, dont la plus grande partie était des serfs attachés aux terres, et entièrement dépendants de leurs seigneurs. En un mot chacun se persuada qu'il n'y avait qu'à marcher vers la Terre-sainte pour assurer son salut. On sait quelle fut la conduite des croisés, et le succès de leurs entreprises.

Cependant l'idée d'Urbain II. fut adoptée, goutée et perfectionnée par ses successeurs ; quelques-uns même étendirent le privilège des indulgences aux personnes qui ne pouvant, ou ne voulant point s'armer pour les croisades, fourniraient un soldat à leur solde.

Bientôt ces faveurs spirituelles furent distribuées à toutes les personnes qui se mirent en campagne contre ceux que les papes déclarèrent hérétiques en Europe. Le long schisme qui s'éleva sous Urbain VI. engagea même les doubles pontifes de délivrer des indulgences les uns contre les autres. Walsingham moine bénédictin de l'abbaye de saint Albans, dit là-dessus, " qu'ils donnèrent au monde cette leçon, qu'un stratagème, quelque sacré qu'il sait, ne devrait jamais être employé deux fois dans le même siècle ".

Néanmoins Alexandre VI. s'en servait avec succès pour payer l'armée qu'il destinait à la conquête de la Romagne. Le cardinal Bembo prétend qu'il vendit des indulgences en Italie pour près de seize cent marcs d'or ; et c'est le moindre reproche qu'on puisse faire à ce pontife.

Après le pontificat détesté, mais heureux d'Alexandre VI. (dit l'auteur de l'histoire générale, dont le tableau terminera cet article) après le règne guerrier, et plus heureux encore de Jules II. Jean de Médicis fut orné de la tiare à l'âge de trente-six ans, et prit le nom de Léon X. La religion n'eut rien d'austère sous son pontificat ; et ce qui l'offensait le plus, n'était pas aperçu dans une cour occupée d'intrigues et de plaisirs.

Le prédécesseur de Léon X. le Pape Jules II. sous qui la Peinture et l'Architecture commencèrent à prendre de si nobles accroissements, avait désiré que Rome eut un temple qui surpassât sainte Sophie de Constantinople, et qui fût le plus beau qu'on eut encore Ve sur la terre. Il eut le courage d'entreprendre ce qu'il ne pouvait jamais voir finir.

Léon X suivit ardemment ce grand projet. Il fallait beaucoup d'argent, et ses magnificences avaient épuisé son trésor. Il n'est point de chrétien qui n'eut dû contribuer à élever cette merveille de la métropole de l'Europe ; mais l'argent destiné aux ouvrages publics, ne s'arrache jamais que par force ou par adresse. Léon X. eut recours, s'il est permis de se servir de cette expression, à une des clés de S. Pierre, avec laquelle on avait ouvert quelquefois les coffres des Chrétiens, pour remplir ceux du pape.

Il prétexta une guerre contre les Turcs, et fit vendre dans tous les états de la Chrétienté des indulgences plénières, contenant la délivrance des peines du purgatoire, soit pour soi-même, soit pour ses parents et ses amis. Il y eut par-tout des bureaux d'indulgences ; on les affermait comme les droits de la douanne. Plusieurs de ces comptoirs se tenaient dans les cabarets de Rome, et l'on y jouait publiquement aux dez, dit Guichardin, le pouvoir de tirer les âmes du purgatoire. Le prédicateur, le fermier, le distributeur, y firent de bons profits ; le pape surtout y gagna prodigieusement. On en peut juger si l'on daigne seulement se rappeler, qu'un de ses légats qu'il envoya l'an 1518 dans les royaumes de Danemark, de Suède, et de Norvege, les plus pauvres de l'Europe, y vendit des indulgences pour près de deux millions de florins. Léon X. toujours magnifique, dissipait en profusions toutes ces richesses, à mesure qu'elles lui arrivaient.

Mais le malheur voulut qu'on donna aux Dominicains la ferme des indulgences en Allemagne ; les Augustins qui en avaient été longtemps possesseurs, en furent jaloux, et ce petit intérêt de moines dans un coin de la Saxe, dessilla les yeux des peuples sur le trafic scandaleux des indulgences, et produisit trois cent ans de discordes, de fureurs, et d'infortunes chez trente nations. (D.J.)

INDULGENCE, s. f. (Morale) c'est une disposition à supporter les défauts des hommes, et à pardonner leurs fautes ; c'est le caractère de la vertu éclairée. Dans la jeunesse, dans les premiers moments de l'enthousiasme, pour l'ordre et le beau moral, on jette un regard dédaigneux sur les hommes qui semblent fermer les yeux à la vérité, et s'écartent quelquefois des routes de l'honnête ; mais les connaissances augmentent avec l'âge, l'esprit plus étendu voit un ordre plus général ; il voit dans la nature des êtres, leur excellence, et la nécessité de leurs fautes. Alors on aspire à réformer ses semblables comme soi-même, avec la douce chaleur d'un intérêt tendre qui corrige ou console, soutient et pardonne.

L'envie plus contrariée par le mérite, qu'offensée des défauts, voit le mal à côté du bien, et le censure dans l'homme qu'on estime.

L'orgueil pour avoir le droit de condamner tous les hommes, les juge d'après les idées d'une perfection à laquelle aucun ne peut atteindre.

La vertu toujours juste, plaint le méchant qui se dévore lui-même, et jusques dans les sevérités on la trouve consolante.

INDULGENCE, (Numismatique) cette vertu si rare chez les hommes, est représentée dans une médaille de Gordien, par une personne assise entre deux animaux indomptés. Est-ce pour marquer que la douceur, que l'indulgence peut adoucir les esprits les plus farouches ? Dans une autre médaille, l'indulgence d'Auguste est caractérisée par une femme assise, qui tend la main droite, et qui tient un sceptre de la gauche ; pur ouvrage de la flatterie. L'indulgence prétendue d'Octave n'était qu'une politique adroite, que la conjoncture des temps l'obligeait d'employer, et le sceptre qu'il tenait le rendait odieux à sa patrie.

Les Parthes, les Persans voulaient des souverains,

Mais le seul consulat pouvait plaire aux Romains.

(D.J.)